Le voyageur de l'au-delà
Bonjour, je m’appelle Gabriel.
Aujourd’hui, je suis sorti du coma. Des gens que je ne reconnaissais plus sont venus me voir à l’hôpital. Oui, ils sont venus me voir, m’observer comme un miraculé. A part ma mère, sûrement ma sœur aussi quand elle avait la possibilité de faire le long trajet qui sépare les Etats-Unis de la France, je pense qu’aucun ne s’était réellement soucié de mon sort de légume. Les docteurs m’ont dit que je serais transféré dans un institut spécialisé où mon corps pourra enfin sortir de sa torpeur. Je n’ai plus de muscle et avaler est même un combat pour moi.
Ma mère m’a donné un miroir pour que je puisse y voir mon nouveau visage. Ce visage qui a vieilli de dix ans sans que je m’en rende compte. Elle avait l’air si heureuse de me voir que des larmes coulèrent sur ses joues de velours. Le poids de son existence se voyait sur son visage mais elle n’avait presque pas changé. Les nouvelles rides étaient surtout celles de son inquiétude, de sa tristesse. Je trouvais ces rides belles et fortes. Quand je l’ai revue pour la première fois et qu’elle m’a souri, tout son visage s’était illuminé, on ne les voyait presque plus alors que quand elle s’était remémorée l’accident, elles ont ressurgi pour façonner son visage dans une mine tragique. Rien qu’en regardant ses rides, on pouvait deviner les émotions immédiates de ma mère.
Elle parlait sans reprendre son souffle et moi je la regardais, elle me manquait beaucoup là-bas. La maladie de mon père, le mariage très réussi de ma petite sœur, les petites choses de la vie, son voyage à Venise l’an passé, tout y est passé. Elle m’a fait une liste de tous ces ancêtres morts dont je ne me souvenais pas même l’existence, non, elle n’a pas dit « mort », elle a dit « décédé » cela leur laisse peut-être l’espoir d’être encore vivant quelque part. Avant j’aurais dit que non, la mort était la fin de tout, notre cœur cesse de battre, les neurones se détruisent et alors ce que nous appelons notre conscience disparaît, c’est la fin et rien de plus. Pourtant, aujourd’hui je doute de ce qui me semblait alors logique.
Pour tout le monde, ce que je vis aujourd’hui est un saut dans le temps, comme si brutalement j’étais passé de l’anniversaire de mes dix-huit ans à cette chambre d’hôpital grise où je me retrouve, moi, vingt-huit ans et une tête de zombie blanche comme mes draps. Ce que tout le monde pense est totalement faux, durant tout ce temps j’étais bel et bien conscient de ce qui m’arrivait. Je ne peux pas croire que ces dernières années étaient le pur fruit de mon imagination. C’était trop réel. J’aurais eu tant de choses à raconter qui auraient paru si étranges que l’on aurait pu m’interner, alors je n’ai rien dit.